jeudi 4 juin 2009

Le monde en route vers un bordel noir ?



Ces derniers jours, le clicheton journalistique qui jaillit spontanément de la plume de nombre de mes chers collègues observateurs de la vie internationale nous informe que ce mois de juin sera celui de “tous les dangers”.

En Iran, on saura le 12 juin si le diable mal fagoté1 Mahmoud Ahmadinejad réussit à s’imposer face au présumé modéré Hossein Moussavi. Au Liban, les élections législatives du 7 juin sont considérées comme à “haut risque” car elles pourraient établir l’hégémonie du Hezbollah et de ses alliés sur le pays du Cèdre. La situation politique en Géorgie risque de tourner au vinaigre, l’opposition au président Mikhail Saakashvili menant grand tapage. L’armée pakistanaise ne parvient pas à venir à bout des talibans qui se sont emparés de quelques “zones tribales” au nord-ouest du pays. Pendant ce temps là, Hugo Chavez, les frères Castro, Mouammar Kadhafi et quelques autres grands démocrates testent leur capacité à défier l’hyperpuissance américaine. Les Russes avancent leurs pions, dans le Caucase et en Asie centrale, régions qu’ils reprennent fermement en main. La paix des cimetières règne désormais au Sri Lanka, où l’armée est parvenue, dans le courant du mois de mai, à appliquer aux Tamouls la méthode de Simon de Montfort pour éliminer les hérétiques cathares mêlés aux civils albigeois : “Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens !”

La seule échéance attendue sans anxiété par les commentateurs patentés est celle des élections européennes. Le désintérêt général pour ce scrutin manifesté dans la quasi-totalité des pays concernés n’est pas de nature à réveiller les passions de cette “Europe frigide” qui désole l’ami Barnavi. Toutefois, on pourrait avoir des surprises, car nos voisins et amis belges ont eu l’idée saugrenue de faire coïncider leurs élections régionales avec les européennes, ce qui promet de la chicore au pays du waterzoï, déchiré par le conflit qui oppose les flamands aux francophones.

À en croire les grands journaux de chez nous, le monde attendrait donc le discours que doit prononcer Barack Obama au Caire le 4 juin comme la parole messianique susceptible de nous délivrer de l’angoisse provoquée par ce mois de juin promis comme horribilis. Jean Daniel ne rate pas cette occasion de prodiguer ses conseils de vieux sage au jeune président des Etats-Unis, qui ne va pas manquer de les suivre, car sans Jean Daniel la terre ne tournerait pas rond. La pom-pom girl du Obama fan club qui fait office de correspondante du Monde à Washington peaufine ses figures jubilatoires sur son blog, avant de les présenter en majesté aux lecteurs du journal de référence.

Le moment est donc venu, après le concert de louanges interprété à l’occasion des cent jours de fonction du nouveau président par la presse obamanolâtre de nos contrées (à savoir presque tous les journaux, radios, télés de France, Navarre et pays circonvoisins), d’évaluer sereinement les premiers effets de cette parole réputée thaumaturge sur la marche du monde.

Le 5 avril dernier, Obama tenait devant le château de Prague un discours qualifié d’historique dans lequel il évoquait la perspective d’un monde sans armes nucléaires. Un long et rude chemin, certes, mais qu’il allait commencer à gravir sans tarder, en compagnie de tous ceux qui voudraient bien l’accompagner, quel que fût leur casier judiciaire.

Ce discours a été reçu cinq sur cinq à Pyongyang et à Téhéran : pour pouvoir suivre le président américain dans son ascension vertueuse vers les sommets de la paix perpétuelle, il convenait, selon eux, de se doter préalablement des armements en question. En effet, quelle gloire tirer de la renonciation solennelle à un arsenal dont on n’est pas encore pourvu ?

En quelques semaines, le complexe militaro-industriel à la botte du grand leader Kim Jong Il parvient à faire péter une bombinette en sous-sol et à tirer quelques missiles susceptibles de dissuader des voisins malveillants, comme le Japon ou la Corée du Sud, de venir mettre leur nez dans les affaires de la plus kitsch des dictatures communistes survivantes.

De son côté, Téhéran a fait savoir au “Groupe des Six” (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne) qui conduit la négociation sur le nucléaire iranien qu’il n’y avait plus rien à discuter. Pour se faire bien comprendre, les Persans ont procédé au tir, réussi cette fois-ci, d’un missile d’une portée de 2000 km, donc capable de porter une charge nucléaire vers un pays de la région que nous ne nommerons pas, pour ne pas lui faire de publicité. Tout le monde, bien sûr, a condamné ces agissements dans les termes les plus vifs, dans des communiqués sans équivoques et des résolutions de l’ONU dont les termes sont pesés au trébuchet, mais de sanctions, des vraies, de celles qui font mal, il n’est pas question, du moins pour l’instant. Obama persiste à vouloir “dialoguer” avec les mollahs, et les Chinois s’opposent à ce que l’on punisse leur voisin coréen. Pékin préfère tenir lui-même la laisse de ce pays pitbull, plus ou moins serrée en fonction de ses intérêts du moment.

Alors, Obama serait-il un peu mou du genou ? Du genre à prendre des baffes et à dire merci ? Ce serait faire bon marché de la fermeté et de l’intransigeance dont il vient de faire preuve vis-à-vis de Bibi Netanyahou: plus un seul cabanon, même pas un chiotte au fond du jardin, ne doit être construit dans les implantations juives de Cisjordanie, y compris dans celles que son prédécesseur Georges W. Bush avait implicitement désignées comme devant être rattachées à Israël lors d’un éventuel règlement final. Cela n’a pas échappé à Ahmed Qoreï, qui dirige pour l’Autorité palestinienne les négociations avec Israël. Alors que, jusque-là, les Palestiniens n’évoquaient jamais les noms des villes pouvant être incluses dans un échange de territoires, ils demandent maintenant que les localités de Maale Adoumim et Givat Zeev, proches de Jérusalem reviennent au futur Etat palestinien, en proposant généreusement que leurs habitants puissent jouir de la double nationalité, israélienne et palestinienne. Une hypothèse qu’aucun gouvernement israélien, même composé de la gauche et de l’extrême gauche sioniste, ne pourrait accepter.

Il semble que Barack Obama se soit laissé persuader que le conflit israélo-palestinien était “la mère de tous les conflits” de la région et que sa solution rapide conditionnait l’acceptation, par monde arabo-musulman d’une cohabitation harmonieuse avec l’Occident, Israël compris. Cette illusion, qui fait l’impasse sur l’instrumentalisation de ce conflit par des régimes dictatoriaux ou autoritaires pour détourner leurs peuples de la révolte contre ses dirigeants, est tout aussi, sinon plus, porteuse de dangers, que l’approche musclée de son prédécesseur. L’acceptation du fait israélien par les Etats arabes n’implique nullement la reconnaissance de sa légitimité, voilà ce que répètent en boucle les responsables arabes, même réputés modérés, un discours que les partisans occidentaux de l’alliance des civilisations font mine de ne pas entendre.

N’appartenant pas au premier cercle des conseillers qui entrent sans frapper dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, je ne peux vous révéler ici en primeur le texte du déjà fameux discours du Caire. Mais j’ai comme l’impression qu’il va contribuer, comme celui de Prague, à l’accroissement du bordel ambiant.



Une rumeur insistante, jamais confirmée mais jamais démentie, veut que le tailleur personnel de Mahmoud Ahamadinejad soit un juif de Téhéran parfaitement capable de confectionner des vêtements convenables, mais que son illustre client oblige à lui tailler des costumes sur le modèle des fripes vendues aux puces de Montreuil, qui arrivent de Paris par la valise diplomatique. ↩

Luc Rosenzweig
Ancien journaliste au "Monde", Luc Rosenzweig est l'auteur de plusieurs essais dont "Lettre à mes amis propalestiniens" (La Martinière) et "Ariel Sharon" (Perrin).
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