samedi 7 février 2009

Les guerres modernes se gagnent à coup d’éditoriaux



Par Daniel Pipes


Autrefois, les soldats, les marins et les aviateurs décidaient de l’issue des conflits. Ce temps est révolu. Aujourd’hui, le rôle crucial pour le déroulement des batailles de l’Occident est joué par les producteurs de télévision, les auteurs, les prêcheurs et les politiciens. Et ce fait a de profondes implications.

Dans un conflit conventionnel tel que la Seconde Guerre mondiale, les affrontements se fondent sur deux prémisses si essentielles qu’elles en sont presque ignorées.

Première supposition : les forces armées conventionnelles se lancent dans une guerre totale pour la victoire. Les adversaires déploient des rangs serrés de soldats, des colonnes de blindés, des flottes de vaisseaux et des escadres aériennes. Des millions de jeunes gens partent au combat tandis que les civils endurent des privations. La stratégie et le renseignement comptent, mais la taille de la population et l’état de l’économie et des arsenaux comptent davantage encore. Un observateur peut juger des progrès du conflit en surveillant des facteurs objectifs tels que la production d’acier, les stocks pétroliers, la construction navale et le contrôle du territoire.

Deuxième supposition : la population de chaque camp est loyale à ses dirigeants. Les traîtres et les dissidents doivent bien sûr être démasqués, mais les gouvernants jouissent d’un large soutien consensuel. Cette attitude était particulièrement remarquable en Union soviétique, où même les impensables meurtres de masse de Staline n’empêchaient pas la population de donner tout ce qu’elle avait pour « Mère Russie ».

Les deux aspects de ce paradigme sont maintenant inexistants en Occident.

D’abord, la guerre à outrance visant à vaincre des forces ennemies conventionnelles a pratiquement disparu, cédant la place à un défi plus indirect constitué d’opérations de guérilla, d’insurrections, d’Intifadas et de terrorisme. Ce nouveau schéma s’est appliqué aux Français en Algérie, aux Américains au Vietnam et aux Soviétiques en Afghanistan. Il est maintenant en place pour les Israéliens opposés aux Palestiniens, pour les forces de la coalition en Irak et dans le cadre de la guerre contre le terrorisme.
Ce changement signifie que ce que les militaires américains appellent le « bean counting » - le compte des soldats et des armes - n’a presque plus aucun sens, de même que les diagnostics de l’économie ou le contrôle du territoire. Les guerres asymétriques ressemblent plus à des opérations de police qu’aux combats d’autrefois. Comme dans la lutte contre le crime, le camp jouissant d’une grande supériorité agit en respectant un vaste éventail de contraintes tandis que le camp de force inférieure viole toutes les règles et tous les tabous dans sa poursuite acharnée du pouvoir.

Deuxièmement, la solidarité et le consensus d’antan se sont étiolés. Ce processus dure depuis juste un siècle aujourd’hui (soit le camp britannique de la Guerre des Boers de 1899-1902). Comme je l’écrivais en 2005, "la notion de loyauté a traversé une évolution fondamentale.

Traditionnellement, une personne était supposée fidèle à sa communauté d’origine. Un Espagnol ou un Suédois était fidèle à son souverain, un Français à sa République, un Américain à sa Constitution. Ce sentiment est maintenant périmé, remplacé par une loyauté envers une communauté politique - socialisme, libéralisme, conservatisme ou islamisme, pour ne mentionner que quelques exemples. Les liens géographiques et sociaux sont beaucoup moins importants qu’autrefois".
Compte tenu des loyautés en jeu aujourd’hui, les guerres se décident davantage sur les pages des éditoriaux et moins sur les champs de bataille. La force des arguments, l’éloquence des rhétoriques, la subtilité des démonstrations et la clarté des résultats de sondages comptent davantage qu’une colline de prise ou une rivière de traversée. La solidarité, la morale, la loyauté et la compréhension sont l’acier, le caoutchouc, le carburant et les munitions de notre temps. Les leaders d’opinion sont les nouveaux amiraux et généraux. Ainsi, comme je l’écrivais en août, les gouvernements occidentaux « doivent désormais considérer les relations publiques comme faisant partie intégrante de leur stratégie ».

Même dans un cas comme celui de l’acquisition d’armes atomiques par le régime iranien, l’élément clé est l’opinion publique occidentale, et non son arsenal. Unis, les Européens et les Américains pourraient sans doute dissuader les Iraniens de poursuivre leur programme d’armement nucléaire. Désunis, ils encouragent les Iraniens à aller de l’avant.

Ce que Carl von Clausewitz appelait le « centre de gravité » de la guerre est passé de la force des armes au cœur et à l’esprit des citoyens. Les Iraniens acceptent-ils les incidences des armes nucléaires ? Les Irakiens accueillent-ils les troupes de la coalition comme des libérateurs ? Les Palestiniens sacrifient-ils volontairement leur vie dans des attentats suicides ? Les Européens et les Canadiens veulent-ils une force militaire crédible ? Les Américains considèrent-ils l’islamisme comme un danger mortel ?

Les stratèges non occidentaux reconnaissent la prééminence de la politique et concentrent leurs efforts dans ce domaine. Toute une série de triomphes - l’Algérie in 1962, le Vietnam en 1975, l’Afghanistan en 1989 - repose sur l’érosion de la volonté politique. Le numéro 2 d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, exprimait cette idée récemment en observant que plus de la moitié des affrontements des islamistes « se déroulent sur le champ de bataille médiatique ».
L’Occident a l’avantage de dominer sur la scène militaire et économique, mais cela ne suffit plus. Il doit, comme ses ennemis, accorder l’attention nécessaire aux relations publiques de la guerre.