lundi 9 février 2009

Dépendance au pétrole du Moyen-Orient et richesse décroissante des grands exportateurs de pétrole, à la lumière de la crise économique


By: Dr. Nimrod Raphaeli

Introduction

Depuis l'embargo de 1973 sur les livraisons de pétrole des Etats arabes aux Etats-Unis, des campagnes politiques menées à tous les niveaux aux Etats-Unis, notamment au niveau présidentiel, ont prôné une politique nationale du pétrole visant à réduire la dépendance américaine au pétrole du Moyen-Orient.

S'il est vrai que la réduction de la dépendance aux importations de pétrole devrait être une priorité nationale, le discours sur la dépendance aux importations de pétrole du Moyen-Orient s'avère, après examen, sans grand fondement.

La réalité des importations de pétrole par les Etats-Unis

Les dernières données publiées par l'Administration de l'information sur l'énergie par le département américain de l'Energie révèlent que deux pays ont exporté plus de 1.40 millions de barils de brut par jour aux Etats-Unis (octobre 2008) et que quatre pays ont exporté plus d'un million de barils de brut (voir Table 1 au bas du document). Les cinq premiers pays exportateurs de pétrole représentent environ 68% des importations de pétrole vers les Etats-Unis en octobre 2008, tandis que les dix premiers exportateurs assurent 86% des importations de brut des Etats-Unis.

Les premiers pays exportateurs de brut aux Etats-Unis pour le mois d'octobre 2008 sont le Canada (2 066 millions de barils par jour), l'Arabie saoudite (1 435 millions de b/j), le Mexique (1 256 millions de b/j), le Venezuela (1 027 millions de b/j) et le Nigeria (0 935 millions de b/j). Les importations totales de brut s'évaluent à près de 10 111 millions de b/j en octobre, ce qui représente une augmentation de 1 704 millions de barils par jour par rapport à septembre 2008 – en raison des ouragans du Golfe du Mexique, mais 2 millions de barils par jours de moins qu'en 2006.

L'analyse du tableau met en relief les aspects suivants : le total des importations de brut en 2008 des cinq plus grands exportateurs jusqu'en octobre (compris) était de 6594 millions de barils par jour, la part de l'Arabie saoudite correspondant à 1520 millions de barils, soit 22.6%. Le total des importations des 15 plus grands exportateurs de brut aux Etats-Unis pour la même période équivaut à 9098 millions de barils par jour, dont 29.29%, soit 2683 millions de barils par jour en provenance des quatre pays arabes que sont l'Arabie saoudite, l'Irak, l'Algérie et le Koweït.

Notons que la part des exportations de pétrole des pays arabes pour le mois d'octobre 2008 est plus basse que sur la moyenne par mois en 2008. En octobre, l'Arabie saoudite a exporté aux Etats-Unis 1435 millions de barils par jour, ce qui correspond à 14.2% des importations totales de brut, tandis que la part des quatre pays arabes s'élève à 2247 millions de barils par jour, soit 22.2% du total de l'importation américaine.

Ce pourcentage, bien qu'important, ne l'est toutefois pas assez pour invalider l'économie des Etats-Unis si, pour une quelconque raison, les importations de brut des pays arabes devaient connaître une diminution drastique. Les économies d'énergie résultant de l'actuelle récession économique et le développement de sources alternatives d'énergie, l'un des objectifs clé du gouvernement Obama, contribueront incontestablement à réduire la dépendance des Etats-Unis aux exportations de brut en général et des pays du Golfe en particulier.

S'il est vrai que les Etats-Unis sont le premier importateur de pétrole au monde, avec une moyenne de 12.3 millions de barils par jour en 2006, cette tendance va s'affaiblissant, avec la baisse de la consommation en 2008. (1) En outre, les Etats-Unis demeurent le troisième plus grand producteur de brut au monde, avec une moyenne de 8.3 millions de barils par jour en 2006, derrière l'Arabie saoudite (10.66 millions de barils par jour) et la Russie (9.67 millions de barils par jour).

La fortune décroissante des pays exportateurs de pétrole

La question de la dépendance des Etats-Unis au pétrole du Moyen-Orient doit aussi être considérée à la lumière de la diminution rapide de la fortune des producteurs. Après avoir atteint un pic de 147 dollars le baril en juillet 2008, les prix internationaux du pétrole se sont écrasés à leur niveau le plus bas depuis 2004. Didier Houssin, haut responsable de l'Agence internationale de l'énergie (représentant les intérêts des consommateurs de pétrole occidentaux), a commenté en ces termes l'impact de la chute des prix pour les pays producteurs de pétrole : "La brutalité et la rapidité du déclin des prix représente un choc énorme au niveau économique et politique pour certains de ces pays." (2)

Alors que les prix du pétrole atteignaient de nouveaux pics et que les pétrodollars s'accumulaient jusque pendant le mois de juillet 2008, les spéculations visant à estimer la fortune des six membres du Conseil de coopération des Etats du Golfe (Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Qatar, Bahreïn, Koweït et Oman) allaient bon train. Avec le passage du prix moyen de 27.69 dollars le baril en 2003 à 100 dollars le baril en 2008, les Etats-Unis et les pays occidentaux se mirent à craindre que le "haut commandement" du capitalisme occidental ne se trouve menacé.

Selon le journal économique saoudien Al-Iqtisadiya, les avoirs gérés par les membres du Conseil de coopération des Etats du Golfe équivalaient à un cinquième du total des avoirs des banques centrales des pays ayant des fonds souverains, soit 5.3 trillions de dollars. (3) Il était prévu que le total des fonds souverains atteigne 12 trillions de dollars en 2015, suite à de nouveaux revenus du pétrole et à une nouvelle augmentation du capital. (4) En conséquence, l'influence politique de ces pays a également augmenté.

Toutefois, avec la crise financière mondiale, les pays du Conseil de coopération des Etats du Golfe (CCG) ont vu leurs biens diminuer de 826 milliards de dollars, pour atteindre 1.2 trillions en 2008, chute qui devrait se poursuivre, vu que le prix du brut continue de décliner. En 2008, les bénéfices du pétrole pour les pays du CCG s'évaluent à 300 milliards de dollars, soit 70 milliards de dollars de plus qu'en 2007. La dégringolade des prix du pétrole a été synonyme de déficits budgétaires et a limité les investissements étrangers dans d'autres pays arabes. Jusqu'à l'année dernière, le secteur immobilier géré par les gouvernements et les sociétés de technologies de l'information et de la communication (TIC) des pays du Golfe étaient devenus des facteurs importants de relance économique en Egypte, Jordanie, Syrie et dans d'autres Etats arabes périphériques tels que le Maroc et la Tunisie. (5) En outre, les déclin des avoirs reportera à une période indéfinie ou annulera certaines acquisitions majeures des fonds souverains d'avoirs américains ou européens.

Déficits budgétaires

Le déclin des revenus du pétrole s'est traduit par des déficits budgétaires dans les pays exportateurs de pétrole. Les chiffres disponibles laissent présager pour l'Arabie saoudite, plus grand exportateur de pétrole au monde, connaîtra un déficit de 17 milliards de dollars en 2009, le premier depuis 2002 ; pour Oman, un déficit de 2.1 milliards de dollars et pour Dubaï, deuxième plus grand émirat arabe, un déficit de 1.1 milliard de dollars.

Conclusion

Cette brève analyse de la situation entend souligner deux aspects importants de la politique stratégique et économique des Etats-Unis : d'abord, que la prétendue dépendance au pétrole du Moyen-Orient est exagérée : avec ses réserves stratégiques de pétrole, sa production nationale et le pétrole des voisins amis que sont le Canada et le Mexique, conjugués au développement actuel de sources alternatives d'énergie, l'Amérique pourrait s'en tirer sur une longue période avec une importation réduite en provenance du Moyen-Orient. En outre, le déclin important des revenus du pétrole réduira la menace de pressions sur la politique étrangère des Etats-Unis par des pays riches ou même la menace de l'acquisition d'avoirs américains vitaux par les fonds souverains.

Il serait bien entendu téméraire de spéculer sur le prix du pétrole à long terme : les prix en fort déclin sont susceptibles de faire place à des pics. Afin d'éviter des chocs futurs, les Etats-Unis doivent simultanément préserver les sources d'énergie existantes et développer des sources alternatives d'énergie. La réduction de la dépendance aux importations de pétrole extérieur devrait cesser de faire l'objet de discours pour faire place à un plan d'action national.

* Dr Nimrod Raphaeli est économiste (émérite) au MEMRI

[1] Associated Press, 15 janvier 2009, données reprises d'un rapport du American Petroleum Institute
[2] Global Business, 13 janvier 2009.
[3] Al-Iqtisadiya, Djedda, 28 août 2007.
[4] The Economist, Londres, 26 mai 2007.
[5] BusinessIntelligence Middle East, 16 janvier 2009.