dimanche 15 février 2009

ANTISEMITISME : Arthur, le roi fatigué


La dissymétrie qui prévaut dans le conflit israélo-palestinien, et plus largement dans ce qu’il convient d’appeler le «choc des civilisations», ne concerne pas seulement les aspects militaro-stratégiques où des armées régulières se voient confrontées à un ennemi informe et à une nébuleuse d’organisations terroristes.

Cette dissymétrie touche également la perception qu’a «l’opinion» des différents protagonistes. La doxa a pris l’habitude, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, d’inscrire les belligérants de tout conflit qui éclate à quelque point de la planète dans deux cases bien distinctes et parfaitement opposées : celle du progressisme et celle de la réaction.

La confusion est totale et, dans nos sociétés modernes façonnées, plutôt avec succès, par la lutte entre le prolétariat et le pouvoir de l’argent, la seule grille de lecture utilisée pour «comprendre le monde» reste celle de la lutte des classes.

Rajoutez à cela le vieil antijudaïsme chrétien, le plus récent antisémitisme maurassien. Touillez avec une pincée de ressentiment musulman envers ces Juifs qui ont eu l’outrecuidance d’abandonner leur statut de dhimmis au profit de celui de bâtisseurs d’un Etat moderne. Faites chauffer le tout à la température idéale soutenue par une crise sociale et financière mondiale.

Voilà, c’est prêt ! Plus le moindre problème. Si l’on avait jusque-là l’impression de raisonner à l’envers, le prisme déformant servi par les «faiseurs d’opinion» va permettre de supporter l’inversion des valeurs servie par les pouvoirs médiatique et politique, et les cerveaux de nos contemporains inscriront à l’endroit les aberrations qui s’étalent sous leurs yeux.

Ils auront vu Staline en porte-drapeau du progrès social, Mao en bienfaiteur de l’humanité, Che Guevara en Robin des bois, Pol Pot en libérateur de son peuple. Le recul de l’Histoire leur a fait regretter leurs prises de position (pour «le Che», il faudra peut-être encore attendre quelques décennies !). Peu leur chaut ! Ils ont persévéré et affublé Yasser Arafat d’un prix Nobel de la Paix. Ils ne voient dans le Hezbollah que sa branche sociale et dans le Hamas que la version moderne d’un FLN confronté au colonisateur dont ils ont honte d’avoir été l’incarnation par le passé.

Et, par-dessus tout, ils disposent des «méchants» rêvés pour leur scénario fantasmé : un grand et un petit Satan ! À l’arrivée, on a pu voir une banderole «Palestine vivra! Palestine vaincra!» s’inviter à la séance d’inauguration du NPA sur les cendres de feu la LCR.

Quelques rares esprits libres refusent de chausser ces lunettes facétieuses mais leurs voix, couvertes par le brouhaha inepte de la fête progressiste, risquent de demeurer encore longtemps inaudibles.

Les Juifs, comme l’Histoire leur en a donné l’habitude, sont en première ligne de cette confrontation. Ils ont le choix entre l’affronter et l’éviter. Certains d’entre eux préfèrent délibérément rejoindre le camp majoritaire. Comme tout converti, ils sont parmi les plus véhéments envers leurs racines, allant même jusqu'à nazifier Israël. L’horreur que suscite en nous toute publication d’une liste de Juifs nous interdit de les désigner mais ils se reconnaîtront sans mal.

D’autres savent confusément que renoncer à cette confrontation ne sert à rien et que l’Histoire a toujours fini par les rattraper. Ceux-là ont choisi de soutenir l’existence d’Israël, vue, à tort ou à raison – là n’est pas le débat -, comme la garantie de la survie de leur propre identité juive.

Entre les deux, il y a Arthur

Oh ! Le pauvre animateur de télé n’est pas le seul dans son cas mais la publication de sa longue plainte dans la rubrique «Opinions» du Monde nous donne l’occasion de décrire l’atmosphère empoisonnée dans laquelle nous baignons.

S’indignant des manifestations pro-palestiniennes qui l’ont obligé à annuler ou à différer ses spectacles, Arthur a cette réflexion étonnante : «D'où vient cette haine ? Et qu'est-ce que je viens donc faire dans le conflit israélo-palestinien ?».

La suite de sa lamentation tourne autour de ce thème : Arthur fait semblant de ne pas comprendre pourquoi ces foules haineuses lui en veulent.

Or, Arthur a bel et bien animé des manifestations en faveur d’Israël avec collectes de fonds à la clé. Il a bel et bien fait en sorte que de l’argent de donateurs français, juifs ou non, vienne améliorer, directement ou pas, le «bien-être du soldat israélien».

Et alors ? Où est le problème ? Des gamins qui sacrifient leur jeunesse, leurs études et parfois leurs vies pour défendre leur Etat démocratique contre la barbarie terroriste seraient-ils des pestiférés ?

Pourquoi Arthur n’assume-t-il pas jusqu’au bout son soutien à Israël ?

Pourquoi ne revendique-t-il pas le même droit octroyé à Jamel Debbouze reçu en grande pompe au 20h de Claire Chazal ? Il y faisait la promotion de son «avion pour Gaza» avec force propos comminatoires envers la journaliste pour qu’elle y participe nommément.

Arthur bénéficie d’une position privilégiée. Il est riche, ce n’est pas honteux, il est célèbre, ça l’est encore moins, et dispose de tribunes dont nous ne bénéficierons jamais pour faire entendre une autre musique que celle servie, à longueur de journée, par des journalistes incultes, paresseux ou malveillants.

On peut le comprendre. Pourquoi se placerait-il témérairement à l'avant-poste d'un combat que ses collègues juifs ont massivement délaissé? Là non plus, pas de liste infâme; l'analyse présente a choisi Arthur en raison de son actualité mais elle vaut pour une multitude de Juifs du showbiz faisant preuve, quand la parole leur est donnée, d’une surprenante pusillanimité.

Mais, n’est-ce pas, l’important est de ne surtout pas «importer le conflit du Proche-Orient» sous nos latitudes. Comme si ce conflit était circonscrit à cette seule région du monde. Malheureusement, ce conflit est protéiforme. Il n’est pas seulement territorial. Il concerne également nos sociétés, nos banlieues, nos choix religieux, culturels, sexuels…

Cette supposée importation est plutôt une imbibition par un conflit de civilisations inévitable. Maintenant, on peut en effet en débattre sans avoir recours à la violence. Les Etats de droit dans lesquels nous vivons nous permettent d’avoir ces débats-là sans Kalachnikov ni M 16 à la main.

C’est pourquoi la contrition affichée par Arthur est pénible à lire même si elle est excusable. Assumer ses convictions n’est peut-être pas la position la plus confortable de nos jours mais nous vivons une époque particulière.

L'antisémitisme progresse à une allure telle qu'un jour viendra où la star de la petite lucarne réalisera qu'avoir regretté la fin du «cocon douillet de l'animateur vedette» aura été bien dérisoire par rapport à l'évolution de l'Histoire.

Un peu comme ces Juifs allemands qui, en 1939, se plaignaient de ne plus pouvoir faire prospérer leurs commerces...

Jean-Pierre Chemla
© Primo