mercredi 28 janvier 2009

Israël, Gaza : l’opération « Plomb durci » et ses enseignements


Interview Encel
Jean-Sylvestre Mongrenier


Entretien avec Frédéric ENCEL, directeur de recherches à l'’Institut Français de Géopolitique, professeur à l'ESG (Ecole Supérieure de Guerre)
Trois semaines après le début des opérations militaires contre le Hamas, en riposte à des tirs de roquettes depuis Gaza sur le sud de son territoire, Israël a proclamé un cessez-le-feu unilatéral.

Directeur de recherches à l'Institut Français de Géopolitique, professeur à l'ESG (Ecole Supérieure de Guerre) et auteur de nombreux ouvrages, dont l’Atlas géopolitique d’Israël (éditions Autrement, 2008), Frédéric ENCEL dresse un premier bilan politique et militaire de l’opération « Plomb durci ».


Propos recueillis par Jean-Sylvestre MONGRENIER, chercheur associé à l’Institut Thomas More.

De nombreux commentateurs ont mis en avant la guerre du Liban-Sud (été 2006), contre le Hezbollah, pour expliquer que l’armée israélienne ne pourrait atteindre les objectifs politiques et stratégiques qui lui ont été assignés dans le cadre de l’opération « Plomb durci » (Gaza, décembre 2008-janvier 2009). Pourriez-vous préciser quels sont les objectifs poursuivis dans la bande Gaza, contre le Hamas ? Doit-on considérer qu’ils ont été atteints ?

Les Israéliens ont agi avec la guerre contre le Hezbollah en mémoire, comme s'ils devaient opérer différemment en tout point. Cette fois, pas de discours de matamore visant la « destruction totale » de l'ennemi, le gouvernement se contentant de buts de guerre modestes, dont la réduction des capacités offensives du Hamas.

Pas de précipitation non plus, le feu vert pour l'opération terrestre intervient 10 jours après l'attaque balistique du Hamas, et non 4 heures après l'attentat de juillet 2006. Et surtout la préparation du terrain par l'aviation et l'artillerie et des équipements adéquats ont permis de protéger efficacement les militaires.

Mais au fond, le but de guerre principal était de redonner une crédibilité (intérieure comme extérieure) à Tsahal, et de démontrer au Hamas qu'attaquer les villes aux missiles lui coûterait plus cher – y compris politiquement – que ne pas le faire. De ce point de vue, Israël a plutôt atteint son objectif.

Au cours des opérations militaires dans la bande de Gaza, le Hezbollah s’est gardé d’ouvrir un second front contre Israël, au nord, et il a démenti toute implication dans les quelques tirs de roquettes. On en vient à se demander si la guerre de l’été 2006, contrairement à ce que véhicule la « doxa », n’a pas été bel et bien gagnée par Israël. Quel est le retour d’expérience de ce précédent conflit ? En termes d’art de la guerre, quels sont les enseignements de l’opération « Plomb durci » ?

En effet le Hezbollah n'est pas intervenu, ou plutôt Téhéran n'a pas ordonné de le faire. Les chiites libanais, en pleine campagne électorale, ne souhaitant de toute façon pas mourir pour les Palestiniens. C'est le vieux chef palestinien Ahmed Jibril qui a propulsé quelques roquettes symboliques sur la haute Galilée.

Je dirais que 2006 ne fut pas la victoire qu'aurait pu remporter Israël, mais moins encore un triomphe pour le Hezbollah : perte du sud-Liban, réinvestissement de l'armée libanaise et de la Finul bis, échec à s'emparer du pouvoir, perte sèche de 600 de ses meilleurs combattants... Rien de très reluisant.

Je crains en revanche qu'en cas de montée aux extrêmes avec l'Iran, Téhéran ordonne à son bras armé et inféodé d'entrer à nouveau en guerre.

Ce nouveau conflit a parfois été présenté comme une répétition générale, en référence à la possible ouverture d’un troisième front, aérien et balistique, entre Israël et l’Iran. Dans quelle mesure ces différents conflits, ouverts ou latents, sont-ils effectivement interconnectés ? Quelle est l’approche israélienne, diplomatique et stratégique, de la menace iranienne ?

Je me méfie des interconnexions et autres effets dominos. Le conflit israélo-palestinien, par exemple, se nourrit de lui-même et n'irradie pas tant qu'on le dit à l'extérieur. L'Iran joue certes pour l'heure la politique du pire, mais sans entrer lui-même en conflit. Pour les Israéliens, le seul véritable danger militaire de type stratégique et non seulement tactique, c'est une arme nucléaire iranienne.

En même temps, je pense que le problème relève surtout des Etats-Unis ; j'ai du mal à imaginer Washington laissant ses meilleurs alliés dans la région – Arabie saoudite, Egypte, Turquie – subir le cauchemar de ce voisin nucléarisé. L'échéance cruciale pour la région, à cet égard, c'est juin et le scrutin présidentiel iranien.

Question subsidiaire : la perspective d’un Etat palestinien, avec la Cisjordanie et Gaza pour territoires, est-elle encore crédible ? L’Egypte ne devrait-elle pas prendre en mains le sort de la bande de Gaza ?

En dépit de cette crise, il y aura bien un Etat palestinien sur une part majoritaire de la Cisjordanie et l'intégralité de Gaza. Reste à savoir sous quel leadership et avec quelles prérogatives de souveraineté.

Quant à l'Egypte, elle ne veut pas hériter du guêpier. Souvenez-vous de la sagesse d'un Sadate « abandonnant » – en fait se débarrassant de – son ancienne possession à Begin, lors des accords de Camp David, en 1978...

Institut Thomas More