mardi 11 novembre 2008

Soixante-dix ans après la « Nuit de Cristal »



Guy Millière


Merci à ce cher Guy Millière qui nous adresse, en exclusivité, ce billet bien à son image : lucide et intrépide, prophétique aussi, avec un frémissement de tristesse qui, sans lamentation larmoyante, prend le contrepied de l’hédonisme et de l’égoïsme ambiants, pour nous avertir qu’il faudra souffrir, car le mal et la haine, eux, ne dorment jamais.
(Menahem Macina).




J’ai parcouru la presse écrite française. Je n’ai trouvé, en ce jour, presque aucune trace de cet effroyable anniversaire. Un seul article digne de ce nom, dans Le Figaro - en fait, un reportage (1), sauve l’honneur.

C’est il y a soixante-dix ans très exactement, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 qu’a eu lieu la « Nuit de cristal » en Allemagne. Il aurait été utile d’en parler, pourtant. Cela aurait pu être l’occasion de réflexions.

Si l’antisémitisme haineux des nationaux-socialistes allemands ne faisait plus de doute depuis longtemps, c’est au cours de cette nuit qu’il a pleinement révélé son visage meurtrier. Mille trois cent synagogues ont été détruites, plus de sept mille entreprises et commerces appartenant à des Juifs allemands ont été saccagés, une centaine de personnes ont été tuées et bien davantage ont été blessées. Trente mille Juifs ont été arrêtés et envoyés vers des camps de concentration. La population allemande a vu, et elle n’a pu, à partir de cette nuit là, ne pas savoir ce qui se passait. Elle a contribué ou, ce qui ne vaut pas mieux, elle a, en général, laissé faire. Les populations et les dirigeants du reste de l’Europe et du monde ont vu aussi, et n’ont pas pu, non plus ne pas savoir quel engrenage était en train de s’enclencher. L’absence de réaction des populations et dirigeants susdits me semble avoir été terriblement éloquente et relever d’une forme de complicité de crime.

C’est au lendemain de cette nuit-là, qu’Hitler et sa clique d’assassins ont compris qu’ils pouvaient persévérer, ce qu’ils ont fait en concevant et en mettant en œuvre la solution finale.

Après la guerre, on a fait comme si on découvrait l’horreur absolue qui reste liée au nom d’Auschwitz, mais je ne peux pas ne pas me dire qu’on a laissé Auschwitz venir et se concrétiser en tolérant la « Nuit de cristal». Je ne peux pas faire comme si j’ignorais qu’on a, ensuite, fermé les portes de l’exode aux Juifs d’Europe qui pouvaient encore tenter de fuir, et que la Grande-Bretagne a, en particulier, maintenu close l’entrée de ce qui n’était pas encore Israël. Je ne peux oublier qu’après la guerre encore, les Juifs survivants ont été chassés de nombreux endroits, maintenus dans des camps d’internement, empêchés d’aller vers le foyer national juif.

On a dit, ici ou là : Plus jamais çà. On a forgé la notion de génocide, puis celle de crime contre l’humanité. Mais on a laissé, depuis, perpétrer de nombreux massacres et de nombreux crimes contre l’humanité en ne réagissant pas davantage qu’on a réagi lors de la « Nuit de cristal ».

Les Européens ont, semble-t-il, aujourd’hui, des problèmes plus urgents à résoudre que des massacres d’êtres humains. Et ils ne veulent pas se souvenir outre mesure de certaines pages, sordides et sombres, de leur passé. Les Américains se souviennent un peu davantage, mais, à l’évidence, pas suffisamment.

Israël existe, mais l’Etat juif est souvent traité avec mépris, et les propos haineux dignes du temps d’Hitler que tiennent à son sujet des gens tels que les dirigeants du Hamas, du Hezbollah, ou de l’Iran, semblent ne déranger personne.

Ceux qui disent qu’il faut, au nom de valeurs éthiques, pratiquer l’ingérence humanitaire, et ceux qui disent qu’il faut parfois intervenir préventivement, avant que le pire ne survienne, dès lors qu’on voit que l’effroyable se prépare sont critiqués vertement.

Il m’arrive de me dire que les leçons ne sont jamais tirées et les enseignements jamais retenus. Nous serons quelques-uns à maintenir la vigilance, en sachant que cela changera fort peu de choses, hélas, à la barbarie toujours prête à faire éclater le mince vernis de la civilisation.

* Nous le ferons par sens de l’honneur.
* Nous le ferons pour que la lumière ne s’éteigne jamais tout à fait.
* Nous le ferons aussi pour rappeler aux victimes potentielles que, face aux bourreaux, il faut surtout compter sur ses propres forces et sa propre détermination.

La fraternité concrète peut venir par surcroît, mais il vaut mieux ne pas compter sur elle et s’attendre, plutôt, à l’indifférence et à la lâcheté.


© Guy Millière



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[1] Claire Bommelaer, "Hanna se souvient de la Nuit de cristal".


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Mis en ligne le 10 novembre 2008, par M. Macina, sur le site upjf.org