samedi 27 septembre 2008

Jérusalem, ville trois fois sainte (3e partie): l’islam et Jérusalem (al-Quds al-Sharif)


Le Méhauté
Nous avons déjà mis en ligne la Première et la Deuxième Parties de cette instructive enquête [*], dont il faut savoir gré à l'auteur et au site "Un écho d'Israël". Notons qu'un orientaliste israélien a exprimé des vues beaucoup plus critiques sur l'intérêt musulman pour Jérusalem [**].
(Menahem Macina)


[*] Première Partie - Deuxième Partie.
[**] Voir Nadav Shragaï, "Au commencement était Al-Aqsa".



Dernière des trois religions monothéistes, l’islam s’implante au Proche-Orient et en Eretz Israël avec la venue des armées arabes, sous le commandement d’Omar Ibn al-Khattab, en 637 de notre ère.

Á l’avènement de l’islam, les musulmans appellent d’abord Jérusalem Beit al-Maqdis (Maison du Temple), Beit al-Quds (Maison Sainte) et Ilyâ’, nom dérivé d’Aélia Capitolina de l’époque romaine. Elle eut aussi d’autres appellations, dont al-Madina, al-Moqaddasa (la Ville Sainte), ou, comme la nommaient les écrivains et les voyageurs arabes du Moyen-Âge, al-Quds al-Sharif (la Sainte et la Noble).


Comment, dans la conscience et dans la pensée musulmanes, Jérusalem est-elle devenue le troisième lieu saint de la religion mahométane ?

Nous pouvons noter que la présence des communautés juives et chrétiennes dans les pays d’Arabie a sans nul doute influencé le prophète Mahomet. De ces communautés monothéistes, il puisa une partie importante de son message. Certaines traditions juives et chrétiennes, y compris les traditions bibliques, se retrouvent dans le Coran, ce qui nous fait penser que plusieurs des grandes idées du Prophète furent inspirées par le legs tant juif que chrétien, comme la notion du monothéisme, le jugement dernier, etc.

Pour les musulmans, la sainteté de Jérusalem est partie intégrante de cet héritage juif et chrétien, et, de fait, la première direction vers laquelle le Prophète se tournait pour la prière (qibla), n’était pas La Mecque, mais Jérusalem : « Les insensés parmi les hommes demanderont : Pourquoi change-t-il la qibla ? Réponds-leur : L’Orient et l’Occident appartiennent au Seigneur ; il conduit ceux qu’il veut dans le droit chemin » (Coran, sourate 2. 136). Cependant, vu le refus des Juifs de collaborer avec Mahomet et de recevoir ses révélations, le Prophète se détourna de Jérusalem et fit de la Kaaba de La Mecque l’unique lieu d’adoration d’Allah. Un hadith (recueil des actes et des paroles du Prophète) interprète cette démarche de Mahomet : « Le Prophète a eu le choix de se tourner dans la direction qu’il désirait. Il choisit la Maison Sainte à Jérusalem, pour satisfaire le peuple du Livre. Ce fut sa qibla durant 16 mois [...] jusqu’à ce qu’Allah le fasse se retourner vers la Maison (c’est à dire la Kaaba de La Mecque). » (Tabari, Commentaire, 923, Hadith.)

Si les noms de Médine et de La Mecque sont couramment mentionnés dans le Coran, le nom de Jérusalem n’apparaît dans aucune sourate. En revanche, cette ville est mentionnée plus de mille fois dans la Bible ! Ceux qui possèdent une version française du Coran peuvent noter que le nom arabe, « al-Aqsa » (l’Éloignée), est traduit ou interprété par « Jérusalem ». Mahomet ne fit aucun cas de Jérusalem après avoir choisi La Mecque, car aucune preuve historique n’atteste sa présence à Jérusalem.

Un événement important dans l’histoire de l’islam fut la prise de Jérusalem - ville sainte par excellence de l’Empire byzantin - par le calife Omar. Avant les conquêtes de l’islam, quand le prophète Mahomet gouvernait de Médine, Jérusalem, étant en dehors de l’orbite musulmane, n’avait pour cette nouvelle religion aucune importance politique ou religieuse. Mais, dès sa conquête par Omar, elle entra dans le dar al-Islam (territoire de l’islam) : « Depuis la conquête de Jérusalem par le calife Umar (qu’Allah l’agrée), elle a acquis un caractère purement islamique. La terre foncière est devenue la terre d’investigation charitable islamique et de confiance (Waqf) au fil des générations musulmanes, qui ne peut être cédée, vendue ni hypothéquée. Al-Mawardi a rapporté : "Une terre que les musulmans conquièrent par la force devient dar islam (territoire islamique) et ce, même si des musulmans vivent sur cette terre, ou si des polythéistes ont eu la permission d’y retourner, parce qu’elle est la propriété des musulmans. Elle ne peut pas être cédée aux infidèles ; ainsi, elle ne peut pas redevenir encore dar harb (une demeure de guerre)". » (Dr Abd al-fattah El Awaisi, « Les moyens pour garder le statut de Jérusalem », Journal of Islamic Jerusalem Studies, VI, N°2, 1981.)

Á ce moment-là, les lieux saints chrétiens de Jérusalem apparurent comme un défi aux yeux des musulmans. Les Juifs, quant à eux, reçurent le droit d’habiter dans la cité (droit refusé depuis la prise de la ville par l’empereur Hadrien).

Après sa victoire sur les chrétiens de Jérusalem il semble que le calife ait érigé une maison de prières près du rocher sacré « Sakhra » sur l’emplacement de l’ancien Temple juif que les chrétiens avaient délibérément abandonné et souillé. Cinquante ans plus tard, en 691, le calife Omeyyade Abd el-Malik Ibn Marwan construisit le sanctuaire appelé le Dôme du Rocher, et Jérusalem prit le nom de Beit al-Maqdis, dérivé du terme juif désignant le Temple (Beit ha-Miqdash). Walid, son fils, construisit, à l’extrémité sud de l’esplanade du Temple (Haram), la mosquée dénommée al-Aqsa.

C’est apparemment à cette période de l’histoire que le premier verset de la sourate 17 (intitulée : Le Voyage nocturne), fut interprété par les musulmans et les historiens comme faisant référence à la montée de Mahomet à Jérusalem : « Louange à celui qui a transporté, pendant la nuit, son serviteur du temple sacré (al masjid al-Haram) au temple éloigné (al masjid al-Aqsa), dont nous avons béni l’enceinte, pour lui faire voir nos merveilles. Allah entend et voit tout ». Dès cette période, l’identification du mont du Temple de Jérusalem avec « le temple éloigné » de la sourate 17, devint totale et définitive. Les Omeyyades voulurent donner rétroactivement une importance à Jérusalem dans la vie de Mahomet et faire de cette ville un élément central de l’islam.

Selon l’interprétation arabe de la première époque islamique, le prophète Mahomet avait été transporté miraculeusement de La Mecque à Jérusalem, au cours de son ascension céleste, le « mi’radj ». Il y est fait allusion dans les sourates 81. 23 et 53. 13 : « Il l’avait déjà vu (l’ange Gabriel) dans une autre descente ». Par la suite, les circonstances de ce voyage nocturne « l’isra » ont été embellies de tout un florilège de légendes, d’imaginations, d’interprétations, dont la miraculeuse monture blanche et ailée du Prophète, al-Buraq, et de nombreux autres détails, plus mythiques que réels. Le sens de cette histoire ou légende est qu’il n’y a pas de vol direct La Mecque-Ciel ; il faut prendre la correspondance à Jérusalem ! Par cette interprétation et par cette fusion de l’isra et du mi’radj, l’islam s’est rattaché à la tradition juive et chrétienne de la sainteté de Jérusalem. Dans le courant orthodoxe de la tradition islamique, la légende de l’ascension céleste de Mahomet, y compris la translation nocturne vers Jérusalem, doit être interprétée littéralement (cf. l’article de Zwi R. J. Werblowsky : Jérusalem dans la conscience juive, chrétienne et musulmane).

Par ailleurs, il semble que ce verset se réfère à une ascension extatique, c’est-à-dire une vision, vers un sanctuaire céleste. La notion de sanctuaire céleste, répandue dans la tradition juive et chrétienne, est parfois associée à la Jérusalem céleste, et cette sourate 17 pourrait y faire référence.

« Quelque temps avant l’Hégire, le 27ème jour de Rajab, en 620, le Prophète Mouhammad vécut ce que l’on devait appeler par la suite Le Voyage Nocturne (Al Isra) et l’Ascension (Al Mi’radj). Le début de la Sourate 17 (Al Isra, Le Voyage Nocturne, ou Bani Israïl, les Enfants d’Israël) fait référence à cet événement en ces termes : Selon feu Cheikh Hamza Boubaker, « il s’agit du voyage céleste du Prophète, sur lequel la concision coranique contraste avec la proxilité de la tradition, de la théologie et de la mystique. Voyage qui soulève un ensemble complexe de problèmes délicats, malgré l’abondante littérature élaborée par les musulmans d’hier et les orientalistes occidentaux de nos jours. » (voir : Moussa Allem, 12-10-2001 - www.oumma.net/Dimanche-14 octobre-Le-Voyage).

Une autre interprétation des experts en politique, était que la dynastie des Omeyyades de Damas cherchait à contrebalancer l’influence du calife rebelle de La Mecque, Ibn Zubayr. Des études plus récentes des chercheurs de l’Université Hébraïque de Jérusalem, ont abandonné cette interprétation. La tendance actuelle est d’admettre la version des anciennes sources musulmanes selon lesquelles les motifs réels étaient essentiellement d’ordre religieux (S. D. Goitein, Studies in Islamic History and Institutions, Leiden, 1966, pp. 135-148). Jérusalem avait commencé à prendre une place de plus en plus importante dans la dévotion musulmane. S’il existait un élément de compétition, ce n’était pas tant avec Ibn Zubayr et La Mecque, qu’avec les églises chrétiennes de Jérusalem, et surtout l’imposant dôme de la Résurrection, « l’Anastasis » du Saint-Sépulcre. Ceci est la version de l’illustre historien et géographe arabe du Xe siècle, al-Mukaddasi. Il n’y a pas de raison légitime, pensent les historiens modernes, de rejeter le témoignage de cet habitant de Jérusalem, proche du conflit des différentes religions qui la revendiquent.

Des hadith louant la sainteté de Jérusalem établirent des liens entre l’islam et le caractère sacré de Jérusalem. La sainteté de la ville commença à fasciner les masses musulmanes et un nombre croissant de croyances cosmologiques, eschatologiques et légendaires, ainsi que des pratiques rituelles se sont rattachées à son nom : « Le sanctuaire de marbre de Jérusalem est la troisième maison d’Allah, et les docteurs de la religion admettent qu’une prière offerte à Jérusalem équivaut à 25 000 prières offertes où que ce soit ; comme à Médine, une prière équivaut à 50 000, cependant une prière offerte à La Mecque équivaut à 100 000 prières. » (Nasir I. Khursau, Voyageur, 1047)

Sous les Abbassides de Bagdad, les Fatimides égyptiens, les Seldjoukides turcs (entre 750-1099) et jusqu’à la venue des croisés, Jérusalem régressa, tant dans son importance politique que religieuse. La ville est rarement mentionnée dans les sources arabes, et al-Mukaddasi se plaint du manque de théologiens et de penseurs musulmans. Le Perse Al-Ghazali (théologien, penseur, philosophe et mystique musulman) y fit un court séjour vers 1096, vivant en ermite.

Après la conquête de la ville par les croisés, en 1099, une nouvelle littérature arabe fait son apparition: les Fadha’ji al-Quds, qui louent Jérusalem et ses vertus. Ce genre littéraire n’est pas une simple propagande musulmane en vue de la reconquête de Jérusalem, mais une marque de piété religieuse. Les chercheurs ont même prouvé que ces Fadha’ji sont antérieures aux Croisades. (E. Sivan, « The Beginnigs of the Fadha’ji Al-Quds Literature », in Israel Oriental Studies, 1, 1971, pp. 263-271).

Voici quelques dictons arabes sur Jérusalem : « La ville fait partie d’une des quatre villes du Paradis, les trois autres étant La Mecque, Médine, et Damas » ; « Le bonheur est comme de manger une banane à l’ombre du Dôme du Rocher » (Ibn Asakir, historien, citant un hadith du XIIe siècle) ; « Celui qui vient à Jérusalem est pardonné de tous ses péchés par Allah, et quand il la quitte il est propre et pur comme un nouveau né » ; « Celui qui jeûne un jour à Jérusalem est délivré du feu de l’enfer » ; « Allah a établi son trône de jugement à Jérusalem, et là il inaugurera la résurrection des morts et le jugement dernier ». (Hadith de plusieurs périodes, cité dans le livre de M. Avi-Yonah, A History of the Holy Land, 1969).

La ville, reprise par Saladin (1187), passe ensuite aux mains des Mamelouks égyptiens, puis elle est relevée par le sultan Soliman II le Magnifique. La ville connaît un lent déclin et perd toute importance politique et religieuse pour l’islam. Á noter qu’elle ne fut jamais capitale d’un royaume ou d’un État musulmans ou arabes !

Depuis la fin du XIXe siècle, avec la montée du sionisme moderne nous assistons à un intérêt renouvelé pour la ville de la part des dirigeants arabes. C’est le grand mufti de Jérusalem (1920-30), le hadjdj Amin al-Husseini (instigateur des révoltes arabes de 1929, 1936-1939), qui, le premier, proclama que le Mur des Lamentations (Mur Occidental) est saint pour l’islam, Mahomet y ayant attaché sa jument ailée, al-Buraq ! Suite à la Guerre des Six jours (1967) et la réunification de Jérusalem par l’État hébreu, la ville est au cœur de la propagande politique et religieuse du monde arabe. Arafat déclara : « Jusqu’ici, aucune des fouilles qui ont été menées n’à pu prouver où se trouvait le Temple […] Soyons clairs : le Mur des Lamentations n’est pas un lieu saint pour les Juifs, il fait partie intégrante de la mosquée al-Aqsa. Nous l’appelons al-Buraq, le nom du cheval avec lequel Mahomet est monté au ciel en partant de Jérusalem. »

Le grand mufti actuel de Jérusalem, cheikh Ikrima Sabri, a, dans une interview accordée à Die Welt (17-01-2001) ["Cheikh Ikrima Sabri: "pas la moindre pierre qui rappelle l'histoire juive". Note d'upjf.org], refusé de reconnaître aux Juifs tout lien avec les lieux saints de Jérusalem (extraits) :
- Question : « la mosquée al-Aqsa a donné son nom à la nouvelle Intifada. Selon une déclaration du Grand rabbinat, faite le 4 janvier, la loi judaïque interdit « de céder la souveraineté sur le Mont du Temple, directement ou indirectement, à des étrangers », et cela parce que ce lieu est le plus saint pour le peuple juif. Quatre jours plus tard, vous avez, une fois encore, déclaré que l’endroit est absolument musulman. Une contradiction insoluble ? »
- Le cheikh Sabri : « Il n’y a pas le moindre signe d’une précédente existence du Temple juif à cet endroit. Il n’y a dans toute la ville, aucune pierre qui rappelle l’histoire juive. Par contre, notre droit est évident. Ce lieu nous appartient depuis 1500 ans […]. Quant aux Juifs, ils ne savent même pas où le Temple se trouvait exactement. C’est pourquoi nous ne leur reconnaissons aucun droit, ni sous la terre ni au-dessus. »
- Question : « […] le Mur des Lamentations fait partie du Temple juif [...] »
- Le cheikh Sabri : « Vous ne pouvez pas nous piéger de cette manière. Il n’y a pas une seule pierre dans le Mur des Lamentations qui ait un quelconque lien avec l’histoire juive. Ni du point de vue religieux ni sous l’angle historique, les Juifs n’ont aucune revendication justifiée à faire valoir quant à ce mur […] ».

Le cheikh Ibrahim Madhi a, quant à lui, fait la déclaration suivante dans un prêche diffusé en direct, depuis la mosquée Idjlin de Gaza, et retransmis par la télévision palestinienne, le 18 janvier 2002 : « […] Nous ne nous contenterons pas d’un État palestinien avec Jérusalem pour capitale. La cité sainte deviendra la capitale du califat islamique que nous aurons proclamé. » (en fait le califat islamique a été aboli en 1924 par Moustafa Kemal Atatürk).

« L’islam nous fournit ainsi l’exemple le plus frappant de la manière dont une ville sainte peut acquérir son caractère sacré sur la base de ce qui n’est, pour un observateur de l’extérieur tout du moins, qu’une légende superposée à une tradition antérieure de la sainteté du lieu, alors que, dans la tradition chrétienne, des faits historiques (la vie et la mort de Jésus) ont créé des faits religieux (la résurrection et l’ascension) et que les deux catégories se sont conjuguées pour attribuer à des lieux le caractère de "lieu saint". Le cas de l’islam est systématiquement opposé : les croyances et la dévotion populaire ont créé des faits religieux, et ceux-ci, à leur tour, ont crée des faits historiques […] En tout cas, pour l’islam, qui ne distingue pas le religieux du séculier à la manière chrétienne, les implications des faits religieux font légitimement partie intégrante de la sphère politique. Ceci reste vrai même quand la dimension religieuse est manipulée abusivement au bénéfice d’intérêts purement politiques. » (Werblowsky, Z. ; op. cit. p. 6).

« Ibrahim Hooper, du Conseil des relations américano-islamiques (Council on American-Islamic Relations, CAIR), situé à Washington, explique un anachronisme : "L’attachement des musulmans à Jérusalem ne débute pas avec le prophète Mahomet, il commence avec les prophètes Abraham, David, Salomon et Jésus, qui furent tous des prophètes de l’islam." En d’autres termes, les principaux personnages du judaïsme et du christianisme étaient en réalité des proto-musulmans. Cette théorie est à l’origine des affirmations de l’homme de la rue palestinien, pour qui "Jérusalem était arabe dès le jour de la création". » (Daniel Pipes, "Les revendications des Musulmans sur Jérusalem", Middle East Quarterly ; septembre 2001 ; adaptation française : Alain Jean-Mairet).

Jérusalem serait-elle la pierre d’achoppement des nations, comme l’avait annoncé le prophète Zacharie ? :

"Voici que je ferai de Jérusalem une coupe d’étourdissement pour tous les peuples d’alentour, et aussi pour Juda dans le siège de Jérusalem. En ce jour-là, je ferai de Jérusalem une pierre pesante pour tous les peuples ; et tous ceux qui la soulèveront seront meurtris ; et toutes les nations de la terre s’assembleront contre elle [...] » (Za 12. 2-9).

Loïc Le Méhauté

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