samedi 27 septembre 2008

Connaissance du pays : Jérusalem, ville trois fois sainte ! (2)

(2ème partie)
Loïc Le Méhauté
Un texte destiné à des chrétiens et écrit par un chrétien, mais qui ne manque pas d’intérêt pour les Juifs, en ce qu’il aide à comprendre les motivations de l’engouement chrétien pour Jérusalem. Rappelons que la publication "Un écho d’Israël" et son site, sont gérés bénévolement par des chrétiens, dont le loyalisme envers l’Etat d’Israël, même s’il ne constitue pas une inféodation, n’est plus à démontrer. Rappelons également que le Père Michel Remaud, dont nos internautes connaissent bien les articles mis en ligne sur ce site, est le conseiller scientifique et théologique de "Un écho d’Israël".
(Menahem Macina).


Extrait de "Un écho d’Israël" 42 – juillet août 2008.


Un peu d’histoire


Deux fois détruite par les légions romaines dirigées par Titus (en l’an 70), et par l’empereur Hadrien (132-135), Jérusalem fut relevée de ses cendres par les nouveaux envahisseurs qui la nommèrent Colonia Aelia Capitolina : ville dédiée à l’empereur Hadrien et à Jupiter Capitolin de Rome ! Etait-ce là l’accomplissement d’une prophétie de Jésus : "Ils tomberont sous le tranchant de l’épée, ils seront emmenés captifs parmi les nations et Jérusalem sera foulée aux pieds par les nations, jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis" (Lc 21. 24) ? Les envahisseurs romains interdirent aux Juifs de séjourner à Jérusalem et, pour effacer toute trace de ce peuple sur sa terre ancestrale, ils baptisèrent le pays d’Israël Palaestina, dérivé du nom du territoire qu’occupaient des peuplades indo-européennes sur le littoral méditerranéen entre Gaza et le mont Carmel.

Les empereurs chrétiens de Byzance rétablirent le nom de la ville et l’appelèrent Hagia Polis Yerusalem (Sainte ville de Jérusalem), tout en gardant le nom de Palestine pour désigner le pays. Visitant la ville au IVe siècle, Hélène (255-328) mère de l’empereur Constantin, prétend avoir identifié les sites du Saint-Sépulcre et du Golgotha. La tradition chrétienne lui attribue également la découverte de la Sainte Croix.

La ville fut prise par les Perses de Chosroès II (roi sassanide d’Iran) en 614. Reprise par les Byzantins en 629, elle est conquise par les armées arabes sous la conduite du deuxième calife, Omar ibn al-Khattab (Al-Faruq), en 638, après un siège de deux ans. Le gouverneur de Damas, Abd Al-Malik (687-691), érige le Dôme du Rocher et son fils Al-Walid construit la mosquée Al-Aqsa (vers 705-715). Le calife abbasside de Bagdad, Harun al-Rashid (786-809), garantit à Charlemagne la protection des lieux saints, ce qui permet le développement des pèlerinages.

En 1009, le calife fatimide du Caire, Al-Hakim fait détruire l’Anastasis, l’église du Saint-Sépulcre construite sous Constantin. Plusieurs chefs musulmans, tour à tour, attaquent et conquièrent Jérusalem. Les Turcs Seldjoukides contrôlent la ville à partir de 1071, et les Fatimides la prennent en 1098, juste un an avant qu’elle ne tombe aux mains des Croisés.

À partir du XIe siècle, les chrétiens lancent une série de croisades pour libérer la ville et avoir accès à leurs lieux saints. La première croisade, prêchée par Urbain II à Clermont-Ferrand en 1095, aboutit à la prise de Jérusalem le 15 juillet 1099, entraînant le massacre de sa population musulmane et juive. Jérusalem devient la capitale du Royaume latin (ou Royaume franc) de Jérusalem (1099-1187 et 1229-1244).

Prise par le Kurde Saladin (Salah al-Din), en 1187, après la défaite des croisés aux Cornes de Hattin, en Galilée, elle devient l’objet de négociations entre le nouveau maître et Richard Cœur de Lion, qui obtiendra, en 1192, une paix garantissant aux pèlerins chrétiens l’accès à Jérusalem. Elle restera cependant sous autorité musulmane. En 1229, l’empereur Frédéric II, également roi de Jérusalem, obtient le retour de la ville au Royaume franc après des négociations avec l’émir ayyoubide, al-Kâmil. Au cours de la VIIe croisade, organisée par Louis IX, les Mamelouks s’emparent de l’Égypte et de la Syrie. Cette dynastie, issue d’une milice formée d’esclaves affranchis, essentiellement Mongols, de la garde du sultan ayyoubide, prend le pouvoir en 1249. Le Mamelouk Baybars organise la contre-attaque et démantèle les forteresses croisées. Le Royaume latin (franc) cessera d’exister en 1291, à la prise de Saint-Jean-d’Acre.

Jérusalem et la Palestine resteront sous le contrôle des Mamelouks jusqu’à la venue des Turcs ottomans. Le 30 décembre 1516, le sultan Sélim Ier fait son entrée à Jérusalem et la ville passe sous domination ottomane. C’est son fils, Soliman II, dit le Magnifique, qui va doter la ville d’aqueducs et de fontaines. Les portes et les murailles qu’il fit ériger et reconstruire existent encore aujourd’hui. Soliman donna à la vieille cité l’aspect qu’elle a gardé pendant quatre siècles. Après sa mort, le déclin de la ville commence. Les pèlerinages latins se raréfient, mais la communauté grecque orthodoxe, dont les sujets sont ottomans, fortifie sa présence dans les Lieux saints. Il faudra attendre l’arrivée des pionniers juifs et de l’armée britannique pour que la ville retrouve sa splendeur passée. (cf. La porte de Jaffa, ouverture vers l’Ouest, vers l’Europe).


L’ambivalence du monde chrétien

Si pour le peuple d’Israël, Jérusalem était sa capitale et le lieu de la présence de Dieu dans le Temple, pour le monde chrétien, elle ne sera que le lieu où se déroulèrent des instants dramatiques de la vie de Jésus : sa Passion, sa Résurrection, son Ascension. Pendant des siècles, la chrétienté a été confrontée à la dualité de la Jérusalem céleste et de la Jérusalem terrestre.

Mais la chrétienté a dû faire face également au problème de la Jérusalem terrestre, comme l’énonce le professeur Zwi Werblowsky :

« Le Nouveau Testament lui-même manifeste une tendance prononcée à ce que l’on pourrait nommer la "déterritorialisation" du concept de sainteté et une dissolution de ses composantes géographiques. Au centre du concept de sainteté il y a le Christ, et non le Temple et le Saint des Saints. Ce n’est ni la Terre Sainte, ni la Ville Sainte qui constituent le "domaine de la sainteté", mais la nouvelle communauté, le corps du Christ. Cependant, pour les générations suivantes, le pays, en général, et Jérusalem, en particulier, furent considérés comme la scène sur laquelle les événements les plus importants de l’histoire de l’humanité s’étaient déroulés. C’est là que le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption avait eu lieu. L’acte divin du salut [...] avait trouvé sa manifestation matérielle en un lieu précis […] La Nativité [...] la Passion [...] la Résurrection [...] l’Ascension [...] la naissance de l’Église [...] tous ces faits se sont produits dans cette ville et sur cette terre... »

(Werblowsky, Z., Jérusalem dans la conscience juive, chrétienne et musulmane).


La terre d’Israël deviendra donc, pour les chrétiens, la Terre Sainte, et Jérusalem, la Ville Sainte. Les empereurs et les impératrices byzantins favorisèrent le développement des pèlerinages en Terre Sainte afin de renforcer leurs pouvoirs religieux, politique et économique. Les pèlerinages à Jérusalem furent d’abord suscités à l’époque de Constantin (306-337), quand Hélène, sa mère, annonça la découverte de la tombe et de la croix de Jésus. Elle fit ériger la basilique du Saint-Sépulcre à l’emplacement présumé de la tombe de Jésus, trouvée après avoir détruit le temple païen d’Hadrien. Par la suite, les chrétiens identifièrent d’autres sites mentionnés dans le Nouveau Testament en relation avec la vie de Jésus et de ses disciples. Ces sites, sanctifiés, virent l’édification d’églises et de lieux de cultes somptueux, qui attirèrent une multitude de pèlerins, comme l’église de la Nativité, de Gethsémani, du mont Sion, etc. Les pèlerins désiraient venir prier sur les lieux attachés au mystère du Salut. Une fascination pour ces lieux saints - ornés de chandeliers d’or et d’argent, recouverts de mosaïques, de fresques et de tentures - s’empara d’une grande partie de la chrétienté. Mais, devant cet engouement pour le pèlerinage, qui devint un phénomène de masse, du IVe au VIIe siècles, des voix se sont élevées émettant des doutes sur la valeur de ce qui leur paraissait une conception tronquée de ce mystère. Certains pères de l’Église s’insurgèrent contre la vénération des "lieux saints", car ils y voyaient une interprétation charnelle des réalités spirituelles. Saint Grégoire de Nysse écrit dans une de ses lettres :

« Dites donc aux frères de s’élever du corps à Dieu, plutôt que de la Cappadoce à la Palestine ».

Et saint Jérôme de préciser :

« Le sanctuaire céleste est ouvert du côté Bretagne pas moins que du côté Jérusalem, car le Royaume de Dieu est en vous. » (Werblowsky, Z., Op. cit., p. 9)

Mais les périodes d’insécurité politique et la peur des épidémies interrompirent ces élans religieux, qui connurent un regain sans précédent à l’époque des Croisades. Le désir de libérer les lieux saints tombés aux mains des Sarrasins [Arabes], la crainte de la mort, l’aspiration au salut éternel, le besoin d’exotisme, d’aventures et de territoires, etc., incitèrent les chrétiens de l’Occident à répondre à l’appel lancé par le pape Urbain II pour la Croisade en Terre Sainte. Certains recherchaient dans le pèlerinage un moyen de faire pénitence, d’autres la rémission des péchés, l’accomplissement d’un vœu, la guérison, etc., voire l’obtention d’une relique, etc.

Malgré cet élan de pèlerinage à l’époque médiévale, pour beaucoup de fidèles, la vraie demeure du chrétien reste la Jérusalem céleste. La Jérusalem terrestre est tout lieu où est vécue une vie chrétienne parfaite, comme le fait entendre saint Bernard, abbé de Clairvaux, dans une de ses lettres à l’évêque de Lincoln, parlant d’un certain Philip, clerc anglais, qui a rejoint l’abbaye de Clairvaux :

« Il est entré dans la Ville Sainte et a choisi son héritage [...] Il n’est plus un spectateur en quête, mais un habitant pieux et un citoyen de Jérusalem, et cette Jérusalem c’est Clairvaux. Elle est la Jérusalem unie à la Jérusalem céleste par la piété, par la vie conforme et par une certaine affinité spirituelle. »

(Bruno Scott James, "Les lettres de saint Bernard de Clervaux", 1953 ; pp. 90-92 ; en anglais).


Contrairement aux églises traditionnelles d’Orient et d’Occident, l’église protestante n’a pas adopté la tendance, presque bimillénaire, au pèlerinage. Cependant, beaucoup de membres de cette église furent parmi les premiers archéologues bibliques et, aujourd’hui, nombreux sont les chrétiens des différentes branches évangéliques issues du protestantisme, qui font un voyage d’étude en Israël, "la Bible à la main" et non en pèlerinage. Notons aussi la formule originale inaugurée par le père Fontaine [un guide catholique de la Terre Sainte. Note d’upjf.org] : « La Bible sur le terrain ». [S’agit-il de la résurgence de l’]ancien dilemme de la Jérusalem terrestre, ou retour aux sources de la foi, tout en s’élevant vers la Jérusalem céleste ?


La Jérusalem céleste dans le Nouveau Testament

Dans la tradition chrétienne, la primauté de la Jérusalem céleste l’emporte par rapport à la tradition juive de la Jérusalem terrestre. Jérusalem, bien que ville sainte, connue pour ses "lieux saints", n’est qu’un reflet de la [conception de la] Jérusalem d’en haut, qui prédomine dans la pensée chrétienne.

Pour les chrétiens, la Jérusalem vers laquelle on dirige sa marche, c’est la Jérusalem céleste :

"Car nous n’avons point ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir." (Epître aux Hébreux, 13, 14).

Elle est l’archétype de l’Église, son reflet terrestre, qui, dans les écrits pauliniens, est identifiée à la mère :

"Mais la Jérusalem d’en haut est libre, c’est notre mère... " (Epître aux Galates, 4, 26) – "Mais notre cité à nous est dans les cieux, d’où nous attendons aussi comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ" (Epître aux Philippiens, 3. 20).

L’auteur de l’Épître aux Hébreux illustre cette Jérusalem céleste, en ces termes :

"Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, de la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, des myriades qui forment le chœur des anges, de l’assemblée des premiers-nés inscrits dans les cieux, du juge qui est le Dieu de tous, des esprits des justes parvenus à la perfection, de Jésus qui est le médiateur de la nouvelle alliance, et du sang de l’aspersion qui parle mieux que celui d’Abel" (He 12, 22-24).

Dans l’Apocalypse de Jean, point final du Nouveau Testament, est décrite la "Nouvelle Jérusalem" vers laquelle chaque chrétien tend les bras en soupirant Maranatha (expression araméenne signifiant "Notre Seigneur vient", cf. 1ère Epître aux Corinthiens, 16, 22 ; Apocalypse, 22, 20) :

"Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre... Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, préparée comme une épouse qui s’est parée pour son époux... Et il me montra la ville sainte, Jérusalem... ayant la gloire de Dieu... Son éclat était semblable à celui d’une pierre très précieuse... Je ne vis point de temple dans la ville ; car le seigneur Dieu tout-puissant est son temple, ainsi que l’agneau..." (Ap 21. 1-22).

Le monde chrétien, quelle que soit son influence religieuse et spirituelle, s’est senti attiré, comme par un aimant, vers la Jérusalem terrestre, tout en ayant les yeux levés vers les cieux, d’où viendra la Jérusalem céleste. Un pèlerinage à Jérusalem préfigurerait-il, pour certains, la recherche du bonheur céleste et l’attente d’un monde nouveau ?


Loïc Le Méhauté



Dans un troisième article, on parlera de la place de Jérusalem dans l’islam (Al-Kuds al-Sharifa).



Suggestions de lecture :

Werblowsky, Zwi R. J., Jérusalem dans la conscience juive, chrétienne et musulmane ; Centre d’Information d’Israël ; 3ème éd. 1995, Ahva Press, Jérusalem.

- Dossiers d’Archéologie : Jérusalem 5000 ans d’histoire, nos 165-166, 10/11/1991.

- Prawer, J., « Le Christianisme entre la Jérusalem Céleste et la Jérusalem Terrestre » (en hébreu) dans Jérusalem à travers les âges, pp. 179-192, Jérusalem, 1968.



© Un écho d’Israël